Jadis omniprésente dans tout le Marais Poitevin et aujourd’hui en voie de disparition… Tel est la dure réalité de l’anguille sur notre territoire où portant l’eau propice à son épanouissement ne manque pas ! Partons à la découverte de l’anguille d’Europe, un poisson migrateur plein de mystères et tentons de comprendre les raisons de sa raréfaction dans le Marais Poitevin.

L’anguille, une athlète tout-terrain

« Regardes maman, un serpent ! » Et non, attention aux apparences, l’anguille n’est pas un reptile ! Il s’agit bien d’un poisson malgré son corps serpentiforme. Les plus grosse anguilles peuvent atteindre la taille d’1 mètre 50 et peser jusqu’à 5 kilos. Et devinez quoi ? Seules les femelles anguilles peuvent atteindre cette taille extrême. Chez les anguilles, le mâle est le sexe faible car les plus gros individus sont des femelles. La durée de vie d’une anguille varie de 10 à 15 ans.

anguille pechée dans le marais poitevin

L’odorat est très développé chez l’anguille et en fait l’un des plus coriaces prédateurs du Marais Poitevin : écrevisses, batraciens, mollusques d’eau douce, vers, larves, insectes aquatiques et même petits poissons, le menu est très varié. L’anguille peut également se montrer charognard si l’opportunité d’une proie morte ou blessée se présente. Son corps allongé et flexible lui permet également de se faufiler dans les moindres recoins des canaux du Marais Poitevin à la recherche de ses proies, entre les plantes aquatiques, les vieux troncs d’arbre immergés et les racines des frênes têtards. L’anguille chasse principalement durant la nuit.

L’anguille est également capable de s’aventurer dans les canaux peu profonds et les champs faiblement immergés lors des crues hivernales. En cas de prise au piège dans des marres et des coins d’eau isolés, sa capacité de survie et de déplacement hors de l’eau peut atteindre plusieurs heures.

Une voyageuse venue du nouveau monde

Christophe Colomb a découvert l’Amérique en 1492 mais l’anguille traverse l’Océan Atlantique depuis des millénaires !!

C’est ici que réside tout le mystère de l’anguille : sa reproduction dans la Mer des Sargasses non loin de l’île de Cuba et de la Floride. Incapable de se reproduire dans nos eaux européennes, l’instinct reproducteur de l’anguille la pousse à revenir en fin de vie vers son berceau d’origine, la mer des Sargasses.

Quels mystères attirent l’anguille européenne dans cet endroit du globe ? Les scientifiques n’ont toujours pas trouvé de réponses définitives à la question…

carte migratoire de l'anguille d'europe

Toutes les anguilles européennes naissent dans les profondeurs de la mer des Sargasses. Elles ne sont au début que des larves leptocéphales.

larve leptocephale d'anguilles d'europe

Larve leptocephale d’anguilles d’europe

A l’état de larves, elles entament déjà leur long voyage vers nos côtes, bien aidées par le courant marin du Gulf Stream.

Civelles du marais poitevin

Civelles ou « Pibales »

Une fois parvenue sur nos côtés après plusieurs mois de voyage, les larves sont devenues « civelles » et atteignent la taille de 5 à 8 centimètres (les fameuses « pibales » comme on les appelle dans le marais). Elles vont alors commencer à migrer vers l’eau douce en remontant nos cours d’eau. Leur chair translucide se colore. Son dos devient brun et ses flancs jaunissent. Ces jeunes anguilles en pleine croissance sont alors appelées « Anguille jaunes ».

anguille jaune marais poitevin

Anguille jaune

En fin de vie, après 10 à 12 ans d’existence, et avant d’entamer son long retour vers la mer des Sargasses pour se reproduire, l’anguille change de nouveau sa couleur de robe. Son dos noircit et ses flancs prennent une couleur argentée. L’anguille rejoint alors les estuaires pour traverser l’Océan Atlantique durant 8 à 10 mois sur un périple de plus de 6000 kilomètres. L’anguille meurt en mer des Sargasses après s’être reproduit fatiguée par une vie pleine de voyages.

anguille argentée marais poitevin

Anguille argentée

La pêche de l’anguille dans le Marais Poitevin

Une réglementation exigeante pour préserver l’anguille

L’anguille étant un poisson en voie de disparition, sa pêche à l’état de larve (civelles) ou adulte est donc extrêmement réglementée. Depuis l’année 2008, l’anguille est inscrite à la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction.

Cette réglementation vise à réduire sa pêche et son commerce à tous les stades biologiques de son évolution. L’enjeu est primordial si l’on veut préserver les générations futures d’anguilles.

Dans le Marais Poitevin, comme partout en France, il est interdit de pêcher l’anguille argentée, cette anguille reproductrice qui redescend nos cours d’eau pour rejoindre la mer des Sargasses.

La pêche de l’anguille jaune est autorisée mais un quota de pêche et certaines obligations légales sont imposés. Par exemple, un plan national de gestion de l’anguille (Décret 2010-1110), impose à tout pêcheur l’obligation de tenir un carnet de capture de l’anguille. La taille minimale de capture de l’anguille jaune est de 12 cm.

peche d'anguilles marais poitevin

Les techniques de pêche de l’anguille dans le Marais Poitevin

  •  La pêche de la civelle (jeunes anguilles) est extrêmement réglementée et contrôlée. Définie sur une période relativement courte de l’année, du 1er décembre au 15 avril, elle vise à permettre à un maximum de jeunes anguilles de parvenir jusqu’à l’entrée de nos rivières. Sa pêche s’effectue en mer au niveau de la Baie de l’Aiguillon et est réservée aux professionnels. Un quota de pêche annuel maximum est à respecter. Les bateaux partent de nuit et utilisent des lampes (les civelles sont par nature attirées par la lumière) et 2 grands tamis de maximum 1,20 m de large pour capturer les civelles.
  • La pêche de l’anguille jaune : Une carte de pêche et un carnet de capture sont bien entendu obligatoires. Sa pêche est autorisée du 1er avril au 31 août pour les anguilles supérieures à 12 cm. Pour pêcher l’anguille jaune dans le Marais Poitevin, différentes techniques de pêche sont disponibles :
  • La pêche à la ligne avec hameçon
  • La pêche à la nasse et la bosselle. Sous autorisation, le nombre de bosselles et de nasses anguillères est limité à 3 maximum par pêcheur.
  • La pêche à la vermée: la pêche traditionnelle du Marais Poitevin sans hameçons et avec un parapluie !! Désormais, cette pêche n’est autorisée que durant la journée (et maximum 30 minutes après le coucher du soleil). Plusieurs vers de terre sont enfilés à l’aide d’une aiguille sur un fil de coton jusqu’à former une pelote de chair bien compacte. Fixée à une canne à pêche, la pelote est mise à l’eau en attendant que morde l’anguille. A la moindre touche, on remonte la canne avec l’anguille mordant dans la pelote au-dessus du parapluie ouvert. L’anguille ayant compris l’entourloupe, elle ne tardera pas à lâcher prise et tomber directement dans le parapluie.

Peche de l'anguille à la vermée dans le Marais Poitevin

Pêche de l’anguille à la vermée dans le Marais Poitevin

  • D’autres techniques de pêche ancestrales du marais sont désormais interdites : la cordelle, la fourche (fouëne) et le fagot de bois.

Attention : La pêche de l’anguille argentée (prête à se reproduire) est interdite durant toute l’année.

fourche à anguilles fouene marais poitevin

Fourche à anguilles (fouëne)

Nasse à anguilles dans le marais poitevin

Nasses à anguilles

La chair de l’anguille : un plaisir pour les papilles

La dégustation de civelles est un mets très recherché mais surtout, quota de pêche oblige, très coûteux ! La civelle se cuisine à la poêle, frite avec de l’ail, de l’huile ou du beurre. C’est un plat fin et savoureux à la chair ferme et blanche.

L’anguille adulte est un poisson à la chair assez grasse et riche en oméga 3 que l’on cuisine selon différentes recettes. Ma préférée reste l’anguille fricassée. Hachée en plusieurs morceaux, faîtes revenir la chair de l’anguille à la poêle et au beurre, exquis ! L’anguille peut également se déguster en matelote voir fumée. Certaines régions proposent également du pâté d’anguille… Bref les recettes ne manquent pas !

plat d'anguilles fricassées

Fricassée d’anguilles

L’avenir de l’anguille dans le Marais Poitevin

Depuis plusieurs années, l’anguille est de moins en moins présente dans les canaux du Marais Poitevin. Un Plan de gestion français pour la sauvegarde de l’anguille existe mais il est encore difficile de comprendre à 100% les origines de cette raréfaction. La combinaison de plusieurs raisons pourrait expliquer ce phénomène :

  • La perte de la qualité de l’eau : Comme de nombreuses espèces aquatiques, l’anguille est sensible à la qualité de son environnement. Les pesticides, engrais, nitrates et autres produits chimiques utilisés depuis plusieurs années par l’agriculture intensive et les activités humaines sur les bassins versants du Marais Poitevin, suivent le cheminement de l’eau jusqu’à se retrouver dans l’eau du marais en aval. Ces données de pollution de l’eau sont déjà prouvées par plusieurs études scientifiques sérieuses sur le sujet comme celle sur la loutre ou les prélèvements d’eau réalisés en sortie du marais au niveau de la Baie de l’Aiguillon. Par exemple, des autopsies réalisées sur des loutres retrouvées mortes dans le Marais Poitevin (pour la plupart renversées par des véhicules) montre la présence de pesticide dans le foie de celles-ci.
  • La destruction de son habitat naturel : Actuellement, par manque de main d’œuvre, le marais se meurt. De nombreux canaux ne sont plus entretenus et la nature reprend ses droits. Les canaux s’envasent et disparaissent, quand ce n’est pas l’Homme qui rebouche volontairement certains canaux (c’est plus facile que de construire un pont…). C’est autant de place et de cachettes potentielles en moins pour l’anguille.
Passe à anguilles sur écluse

Passe à anguilles sur écluse

  • Les obstacles à sa migration naturelle : Le Marais Poitevin est composé de nombreux ouvrages hydrauliques destinés à gérer toute l’eau du territoire. Faciliter l’évacuation des eaux hivernales en périodes de crue et retenir suffisamment d’eau pour la période estivale (pour la navigation touristique, la pêche et l’agriculture). Le problème est que de nombreuses écluses forment un barrage artificiel non franchissable pour la faune aquatique et empêche toute remontée des poissons migrateurs vers l’amont des rivières. Depuis quelque temps, de nombreuses écluses se sont dotés de « passes à poissons » mais toutes ne sont pas aménagées… A ce jour ce sont 30 passes à poissons qui sont installées sur 19 ouvrages hydrauliques du Marais poitevin, dont 3 sont “toutes espèces” (Aqueduc de Maillé – Marais Pin- La Sotterie) et sont maintenues en service par l’IIBSN et l’État.

  • Le braconnage de la pêche des civelles et des anguilles argentées : Nous l’avons vu précédemment, ces deux pêches sont extrêmement réglementées. Mais comme partout dans le monde, il existe une part de braconnage qui nuit à la population d’anguille dans le Marais Poitevin.

L’anguille fait partie intégrante du Marais Poitevin. A la fois prédatrices et proies pour de nombreux animaux et pour l’Homme, sa raréfaction n’augure rien de bon pour le marais. De nombreuses actions pour faciliter sa sauvegarde sont engagées mais pour l’instant les résultats peinent à convaincre. Son rôle écologique est pourtant primordial pour le marais surtout dans le cadre de la lutte contre de nouveaux envahisseurs dont elle particulièrement friande : les écrevisses américaines.

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